J’ai récemment entendu que la commune de Tautavel située dans les Pyrénées Orientales cherchait un jeune médecin pour remplacer le dernier, parti en retraite. Malheureusement pour elle, il y a peu de candidats et les élus font un forcing pour que les autorités imposent la répartition des médecins au niveau national. L’idée derrière cette action serait qu’il y ait un maillage national de médecins. A côté de ceci, la ville de Tautavel propose des facilités au médecin qui viendra s’installer.

Ceci a suscité plusieurs réactions de ma part. Si j’étais un jeune médecin aurais je envie d’aller m’installer à Tautavel ((Un peu moins de 1000 habitants)) , ville célèbre grâce à son « homme », ancêtre lointain de ce que nous sommes aujourd’hui ?

Soyons clairs, la réponse est négative. Non, je n’aurais pas envie d’aller habiter Tautavel même en étant médecin et ceci pour une seule raison, j’y reviendrai plus loin.

TautavelLa ville de Tautavel est symptomatique de ce qui se passe dans les campagnes françaises; elle est victime de la désertification à savoir que les jeunes générations vont vers des lieux où ils peuvent vivre de façon plus « moderne ». L’adjectif « moderne » n’est pas neutre ici. La génération des trentenaires a grandi et vécu avec l’informatique et des moyens de communications modernes, ce que la génération issue des 30 glorieuses a découvert sur le tard ou peu très bien s’en passer. Ainsi internet pour ne citer que ce moyen universel de communication est devenu un incontournable de civilisation, et je n’évoquerai pas le téléphone portable dont l’apparition a engendré un vrai bouleversement des modes de vies.

La qualité de vie (absence de pollution, soleil, mer à proximité, douceur de vie sans parler de la gastronomie) n’est plus un argument suffisant pour faire venir des jeunes. Cela reste un argument, mais ce ne peut être le principal.

Alors, comment faire venir un médecin à dans un village? Déjà Tautavel est un village qui se situe à au moins 30 minutes de tout moyen de communication civilisé (train, avion). La ligne TGV Paris-Perpignan est une ligne qui n’est pas dite « rapide » sur l’ensemble du trajet ; comptez 5 heures pour relier Perpignan à Paris. Vous me direz qu’il y a l’avion. Effectivement, la ligne Hop! Paris Perpignan fonctionne bien, à raison de plusieurs allers-retours par jour. Cependant, ces trajets sont onéreux, voire très onéreux qui font dire que la ligne Paris-Perpignan est la plus rentable de France.

Si un village comme Tautavel souhaite faire venir un médecin d’une autre région, celui-ci devra pouvoir se rendre auprès de ses proches, amis ou parents facilement ; ce que n’offre pas nécessairement le village typique des Pyrénées Orientales. Ce ne sont donc pas les transports qui pourront faire venir les jeunes.

Du côté de l’éducation, Tautavel possède une école primaire et une école maternelle ((Recherches faites sur internet, je ne vis pas à Tautavel, je vis au bord de la mer.)) . Pour le collège, il faut aller à Estagel, à 6 kms de là. Le lycée le plus proche est celui de Perpignan, à plus de 17 kms. Il y a un ramassage scolaire. Pour les écoles privées, la référence reste Perpignan. Il est plus confortable pour un jeune de s’installer dans une ville qui va offrir des capacités d’éducation à ses enfants. Tautavel les offre grâce aux transports locaux. Gardons en mémoire que la ville fait moins de 1000 habitants. En revanche, soyons certains que pour des jeunes enfants, la qualité de vie est bien meilleure à Tautavel que dans le centre de n’importe quelle grande ville. Mais est-ce suffisant ? Non….

En fait, outre le coup de foudre que l’on pourrait avoir pour un village comme Tautavel, il n’y a qu’une seule chose qui puisse faire venir un jeune dans un village de campagne : le fait qu’il soit certain de communiquer avec ses amis, sa famille qui sont à plusieurs centaines de kilomètres de là. Il faut un réseau de téléphonie mobile digne de ce nom (la 3g+ est le minimum) ainsi qu’une ligne internet qui permette le triple play de façon confortable et non de façon commerciale ((Les fournisseurs vous vendent des lignes avec des débits théoriques… Ainsi, lorsqu’on vous vend un 24 mégabits, il s’agit d’un débit en bits… il faut 8 bits pour faire 1 octet. Ainsi, 24 mbits est une ligne qui fait 3 mégaoctets en débit réel. C’est encore un débit théorique. Dans les faits, lorsque vous avez 16 mégabits c’est bien ; cela signifie que vous avez 500 ko/sec pour la télé et 1,5 mo/sec pour internet. Ainsi, si votre xbox one a 2 gigaoctets de mise à jour à télécharger, vous le faites en moins de 25 minutes ce qui reste acceptable et ce qui ne parlera pas du tout aux Maires des différents villages qui se demanderont de quoi nous pouvons bien parler.)) . Ce qui va relier le jeune médecin qui s’installera à Tautavel, c’est une vraie ligne haut débit (avec au moins 8 mégas réels sur la ligne pour internet… Nous sommes donc à au moins 12 mégas pour le triple play).

Internet, c’est la garantie de rester en contact avec ses proches, c’est la garantie de pouvoir acheter des livres, des vêtements,passer des commandes…

Les villages français ne l’ont pas compris car les élus sont souvent éloignés de ce genre de préoccupations ; il suffit de regarder les comportements des députés sur le sujet pour s’en rendre compte ((Je rappelle qu’il y a quelques années, nous avons entendu dire qu’OpenOffice était un pare-feu alors qu’en fait c’est une suite bureautique, preuve que les élus n’y connaissent absolument rien en nouvelles technologies)) . C’est la technologie qui attire les jeunes. Sans technologie, pas de jeunes et la privatisation de France-Télécoms n’a en ce sens rien arrangé, même si on me dira que cette entreprise possède une délégation de service publique. France Télécoms, pardon, Orange est une société privée dont le but est de faire du profit. Aussi, aller câbler des villages de 900 âmes peuplés par une population vieillissante ne l’intéresse pas ou ne voit pas son intérêt. Il faudra donc que la ville investisse dans des infrastructures dignes de ce nom.

Ces manques d’infrastructures sont également un frein au développement économique. Comment exporter son vin si le réseau ne peut permettre que l’on fasse les téléprocédures de la Douane ? Comment envoyer un catalogue par email à un client si les débits ne sont pas bons ? Comment faire du travail collaboratif si le cloud ne peut s’actualiser facilement ? C’est pour tout cela que les jeunes se tournent vers la ville. Tautavel est un joli village mais suis je certain que si je me prends en photo dans le village et que je souhaite l’envoyer sur Instagram ou Facebook afin que mes amis en profitent cela pourra se faire ?

Les villages français qui souhaitent attirer des jeunes doivent s’équiper de vraies infrastructures de communication. Pas d’internet, pas de jeunes… Même si la qualité de vie y est bien meilleure qu’ailleurs. Tant que les élus ne l’auront pas compris, les campagnes se videront…